Panorama de la BD en Afrique noire (2)

Publié le par ttfons

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(MFI/ LDB - Supplément littéraire) L’histoire de la bande dessinée (BD) en Afrique est assez récente. Pourtant, un mouvement est né et des auteurs ont émergé, dont le bilan n’est, somme toute, pas négligeable. Les tentatives éditoriales se multiplient et le 9e art n’est plus perçu uniquement comme de la littérature pour enfants. Il lui reste à se trouver un public, à fédérer les volontés et à cesser d’avoir les yeux tournés vers l’Occident – condition essentielle pour voir émerger une BD authentiquement africaine…

À l’époque coloniale, il n’y a pas de bande dessinée à proprement parler « africaine » puisque toute l’édition vient d’Europe y compris les « illustrés pour la jeunesse ». C’est à partir de l’indépendance qu’apparaissent les premières bandes dessinées, essentiellement soutenues par l’Église catholique, et en parallèle par les coopérations étrangères – quelques réalisations locales sans grande envergure. C’est « l’époque Kouakou », un trimestriel très populaire – jusqu’à 400 000 exemplaires. Soutenu par la coopération française et distribué gratuitement aux enfants, ce journal a été à l’origine de la popularité de la bande dessinée dans les pays africains francophones. Mais par sa présence envahissante, il a paradoxalement contribué aussi à freiner sa production.

Au début des années 1990, un double phénomène entraîne un certain essor du 9e art sur le continent. D’abord, la liberté de la presse provoque une multiplication des titres, en particulier dans la presse satirique avec son lot de dessinateurs ; cette proximité entre le métier de bédéiste et celui de caricaturiste aura, d’ailleurs, une influence sur la production. Ensuite, les Ong se mettent à utiliser régulièrement la BD pour sensibiliser la population aux problèmes sociaux et sanitaires. Tout cela génère un intérêt pour le métier de dessinateur.

Plusieurs pays-phares

Aujourd’hui, il existe plusieurs pays-phares en matière de BD : la République démocratique du Congo (RDC) et Madagascar ont une tradition vieille de près d’un demi-siècle et comptent énormément d’artistes reconnus ; le Cameroun et la Côte d’Ivoire s’appuient sur une presse satirique très vivante ; tout comme le Sénégal, où un grand nombre d’Ong font appel aux dessinateurs, qui peuvent vivre de leur travail grâce aux BD de sensibilisation qu’ils réalisent. Du côté des pays anglophones, le Nigeria et l’Ouganda produisent beaucoup de petites BD locales très populaires. Enfin, l’Afrique du Sud a développé un courant alternatif underground, implanté dans le milieu de la minorité blanche : les revues Bitterkomix et Mamba comics.

La personnalité la plus connue reste le Congolais Barly Baruti, premier Africain à avoir été publié en Europe. D’autres bédéistes congolais sont apparus récemment sur le devant de la scène : Thembo Kash, auteur de Vanity, Pat Masioni, qui a dessiné une série sur le génocide rwandais, Hallain Paluku, Missy. Ailleurs, on peut citer le Sénégalais T.T. Fons, créateur du personnage de Goorgoorlou, le Gabonais Pahé, auteur d’une série autobiographique, Vie de Pahé, l’Ivoirien Lassane Zohoré, fondateur du journal Gbich mais aussi le Béninois Sonon, l’Équato-guinéen Ramon Ebale, le Congolais Willy Zekid, les Malgaches Rabesandratana et Ndrematoa. Et bien d’autres noms pourraient être cités….

Le continent possède également ses héros. À titre illustratif, citons Yrmoaga au Burkina Faso, Zoba Moke au Congo Brazzaville, Mata Mata et Pili Pili, Apolosa, Mohuta et Mapeka en RDC, Dago et Monsieur Zézé en Côte d'Ivoire, Bibeng et Tita Abessolo au Gabon, Tekoué en République centrafricaine, Boy Melakh et Goorgorlou au Sénégal. Mais comme aucun de ces personnages n’a pu dépasser les frontières de son pays, il n’y a donc pas à proprement parler de héros africains.

Actuellement, le « produit BD » le plus populaire reste le journal ivoirien Gbich qui, malgré la guerre civile et les difficultés économiques, continue à tirer à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires. Cette revue a imposé plusieurs héros populaires connus dans toute la sous région. Ce journal est le seul à jouir d’une popularité transfrontalière, due à l’origine géographique de ses auteurs (Congo, Côte d’Ivoire, RDC…) ainsi qu’aux sujets traités : corruption, pauvreté, système D… des problèmes qui concernent tous ces pays et dans lesquels les lecteurs africains se reconnaissent.

Sur un plan graphique, la BD africaine reste un phénomène d’importation et donc d’imitation ! En d’autres termes, les dessinateurs du continent, aussi doués soient-ils, sont encore très influencés par la BD franco-belge « à l’ancienne », en particulier « la ligne claire » chère à Hergé. Leurs techniques restent artisanales : ils dessinent à la plume, simple ou tubulaire, et au pinceau. Ils peignent à l’aquarelle ou à la gouache pour les dessins en couleur. Peu de scannage, de travail sur ordinateur ou de logiciel de dessin… Même s’il existe quelques spécificités, comme en RDC où la peinture « naïve » et la bande dessinée populaire s’influencent l’une et l’autre, d’où des particularités dans le cadrage, le récitatif et le découpage. A Madagascar, l’influence des marvel comics italiens des années 1970, très forte, se voit nettement dans le style, assez épais et figuratif. Mais ces différences restent marginales.

Une diversité de styles et de sujets

Il existe plusieurs genres dans la BD africaine. Le manga ou les comics américains sont rares dans les pays francophones. Mais en Afrique non francophone, particulièrement en Tanzanie et au Nigeria, les styles graphiques sont plus diversifiés. Madagascar est un des rares pays qui a vu émerger des BD de format réduit, en noir et blanc, mettant en scène des karatékas, des cow-boys ou des ninjas, en langue malgache. La BD historique est en augmentation, due sans doute au désir de raconter l’histoire africaine. C’est le cas de Serge Diantantu (Simon Kimbangu) ou Biyong Djehouty (Chaka, la bataille de Kirina). Il y a aussi les BD urbaines, qui racontent des histoires du quotidien, celles de la rue, de la souffrance des gens. Les BD policières sont un genre à part entière au Sénégal – avec des auteurs comme Simon Pierre Kiba (Otages) ou Samba Fall (L’ombre de Boy Melakh) –, mais aussi en RDC, au Cameroun ou au Gabon (Fargas, Les rats du musée). On peut ajouter les BD humoristiques : La voiture, c'est l'aventure de Barly Baruti (RDC), BD Boom explose la capote et les ouvrages des éditions Achka au Gabon, Les zémidjans protestent (Bénin), Sergent Deutogo, John Koutoukou (Côte d’Ivoire). Enfin, en Afrique du Sud, le genre graphic novel concerne essentiellement le groupe des bitterkomix.

Les thématiques sont très diverses. Les albums « de sensibilisation » évoquent des problèmes sociaux, de santé, de sida. La plupart du temps, ces albums sont subventionnés par des bailleurs de fonds qui veulent faire passer un message à destination des populations. Les albums soutenus par les églises traitent de morale et de foi. Enfin, les albums commerciaux sont de pures fictions. Mais ceux-ci sont de plus en plus rares. À titre d’exemple, en RDC, hormis les éditions Elondja, aucun ouvrage n’a été publié depuis 2004. Les supports de prédilection restent les revues et journaux, très volatiles. Il y a également des BD dites populaires, autoproduites et vendues à bas prix sur les marchés entre cent à deux cents exemplaires en moyenne, ronéotypées à la demande sur des feuilles de mauvaise qualité. Cette production porte un regard caustique sur la société et le milieu politique et on y parle beaucoup de sexe, de sorcellerie et de politique.

Le bilan n’est, somme toute, pas négligeable. Un mouvement est né, des auteurs émergent, les tentatives éditoriales se multiplient et le 9e art n’est plus perçu uniquement comme de la littérature pour enfants. Il lui reste à se trouver un public, à fédérer les volontés et à cesser d’avoir les yeux tournés vers l’Occident. Le chemin est encore long, mais c’est la condition essentielle pour pouvoir être considérée comme une expression artistique à part entière ou, en d’autres termes, pour voir émerger une BD authentiquement africaine…

www.brazzaville-adiac.com

Christophe Cassiau-Haurie


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